* 100 MILLES AU PARADIS ** (suite)

Enfin du vent portant suffisant pour avancer... conditions idéales, grand beau temps d'alizé, petits nuages floconneux.

On met une ligne à la traîne avec un hameçon sérieux, que je dois tenir à la main... moins d'une heure plus tard, je sens que ça tire fort, quelque chose s'agite loin derrière. Le temps de remonter le tout, plus rien au bout ! Engueulade, chacun son argument-massue. Je n'en démords pas : un tel hameçon sans bas de ligne acier et tenir la ligne à la main, c'est pas sérieux ! Grosse déception, tempérée par la quasi certitude que ce devait être un barracuda, seuls à se laisser prendre facilement et impossible à manger dans ces eaux trop au Nord, pour cause de risque de cigüatera.

L'archipel des Saintes apparaît à l'horizon. J'ai décidé de ne pas y retourner, j'y ai séjourné plusieurs fois avec bonheur il y a 25 ans, je sais que maintenant on ne peut plus mouiller librement, obligation de prendre un corps-mort payant à Terre-de-Haut et derrière l'îlet Cabrit. Les grands paquebots de croisière déversent leurs passagers quasiment chaque jour, ce sont des milliers de personnes qui se retrouvent sur la seule et unique rue du village transformée en centre commercial miniature. Très peu pour moi, je crains d'être déçue.

J'avais envisagé de rendre visite à un jeune couple d'enseignants installés à Terre-de-Bas (venus passer quelques jours chez moi l'été dernier), mais nous devons rester à moins d'une demi-journée de navigation de Saint-François pour des raisons professionnelles. Remonter des Saintes à St-François contre un alizé musclé peut être pénible !

Je savoure à plein cette navigation de rêve avec un force 4 d'Est et une petite houle croisée qui oblige à contrôler son équilibre quand on se déplace, excellent pour l'entretien des muscles profonds, paraît-il ! De fait, j'aurai mal partout le lendemain...

Très nombreux casiers mal signalés à l'approche des falaises d'altitude modeste de la côte Nord de Marie-Galante. La lumière est belle. Un hélico privé vient nous tourner autour, nous sommes le seul voilier sur l'eau.

Sujet d'étonnement pour moi, assez inquiétant : aucun oiseau ne nous survole, il n'y en avait pas non plus sur Petite-Terre, sauf les huîtriers d'Amérique qui se perchaient chaque soir sur les bouées de corps-morts non occupées. Dans mon souvenir, il y avait en permanence des pélicans, des mouettes rieuses, des frégates, des fous... Leur disparition est probablement un signe !

Voiles en ciseaux, plein vent arrière faiblissant, on laisse à tribord l' îlet Vieux-Fort qui semble sortir d'une carte postale !

Quelques bateaux à l'anse Canot, c'est le week-end. La plage est belle et à l'écart de toute agglomération. En plein hiver, le mouillage peut y être très rouleur avec une houle de Nord, mais ce soir c'est tranquille.

On poursuit jusqu'au bourg de Saint-Louis où nous devons faire un complément de ravitaillement. Le soleil descend, un gros paquebot à voiles, cinq mâts, très vilain à mon goût, quitte le mouillage. L'ancre tombe dans 4 mètres d'eau devant le petit phare rouge, non loin de la bouée qui signale le tuyau d'eau douce, où il est possible de faire son plein. Mouillage silencieux, à la voile, comme j'aime !

Le soir, c'est la fiesta sur le front de mer. Saturday night fever ? On se contente d'un repas sur la plage, chez Henri : darnes de coryphène avec une sauce bien relevée, puis sorbet coco, pour un prix raisonnable. Huuum !

Nuit très calme. Le lendemain c'est dimanche, mais les petits commerces alimentaires sont ouverts toute la matinée. On trouve tout le nécessaire sans problème : pain, bière, fromage, cigarettes, poulet en morceaux congelés (pratique pour un barbecue sur le balcon-arrière, faute de poisson frais !). Pas de fruits et légumes appétissants, en revanche. Il doit y avoir un jour de semaine plus propice, j'ai oublié de demander !

Connexion Wifi possible sur la terrasse de plage "chez Henri" et un autre restaurant "La Baleine rouge" sur la plage, avec son propre ordinateur/smartphone. Il y a également un "cyber", comme ils disent, soit un local avec des ordinateurs en location et une connexion internet rapide, mais il était fermé cette semaine-là (non loin du collège de Saint-Louis).

Voulant découvrir un peu l'intérieur de cette île peu fréquentée encore, je me poste au bord de la route le pouce levé, direction Grand-Bourg, la capitale. Dix minutes plus tard, une dame endimanchée s'arrête : elle sort de la messe à l'église de Saint-Louis mais habite à Grand-Bourg : ici aussi le curé se fait rare et il n'y a pas de messe dans toutes les églises le dimanche matin. On papote et elle fait un détour pour m'amener à destination : le port. Quelle gentillesse !

Accès au port bien balisé : quelques pêcheurs et plaisanciers. Pontons flambant neufs, comme partout dans l'archipel de la Guadeloupe, refaits après les destructions des derniers cyclones.

La navettte rapide Marie-Galante / Pointe-à-Pitre : prochain départ à midi.

Une occasion d'être fière de mon pays : la médiathèque de Marie-Galante. Le genre de "détail" inexistant sur les îles ex-anglaises.

L'église est fermée ce dimanche.

Les petits "lolo" (kiosques de restauration rapide) sont nombreux sur le vaste parking du port. Celui-ci est à vendre !

On fabrique les nasses à poissons/langoustes sur la plage. Il y en a des dizaines mouillées parfois profond tout autour des îles. Il faut y être très attentifs quand on navigue au moteur.

Très joli front de mer avec un alignement de flamboyants remarquable, quand ils fleurissent vers juin/juillet, ce doit être magnifique.

Clin d'oeil à mes racines : la Nationale 9 !

Après une bonne demi-heure de marche, j'arrive enfin au musée-boutique tenu par des métropolitains férus d'archéologie, qui ont ouvert une sorte de Musée-brocante-galerie d'art contemporain-souvenirs : une maison assez grande qui donne direct sur la plage. On change d'époque en passant d'une pièce à l'autre, c'est très bien fait, beaucoup de goût et super intéressant à visiter, avec des explications succinctes mais suffisantes pour une première approche. Seul bémol : les T-shirts, sacs, etc... très attrayants sont aussi très chers, à mon avis. Cela doit convenir à la clientèle des grands paquebots américains !

La journée s'avance et je commence à fatiguer. Je me poste à nouveau au bord de la route. Un jeune s'arrête aussitôt, je lui explique où je vais. "Ah faut pas te met' là, madame, je vais t'amener à la sortie vers Saint-Louis..." Aussitôt dit... Là je reste un peu plus longtemps, mais à l'ombre. C'est l'heure de la sieste, peu de voitures ! Enfin une vieille R5 s'arrête (rare dans les Antilles les vieux modèles) : un homme dans les 40 ans, qui s'enquiert de ma destination le visage fermé. Il me fait signe de monter. Un peu circonspecte, je me mets à causer. Il me dit qu'il a une course à faire avant... aïe ! Il s'arrête au bord de la route principale devant une jolie maison avec une boîte-à-lettres normalisée, comme chez nous, mais repeinte aux couleurs rasta et abritée de la pluie par un petit toit adorable. Un peu stressée, j'ai omis d'en faire une photo !

Mon chauffeur klaxonne, un homme sort, ils se parlent en créole, pour autant que je comprenne, il ne s'agit pas de moi. Il lui demande de lui donner une bouteille d'eau fraîche et le nouveau s'installe à l'arrière, il l'amène aussi à Saint-Louis. Plus bavard tout à coup (il était peut-être intimidé par la dame métro...) il me raconte qu'il est agriculteur (canne et élevage de bovins-zébus) et me conseille de venir m'installer à Marie-Galante, c'est le bon moment, c'est pas cher, dans quelque temps, tout sera hors de prix comme aux Saintes, etc... etc...

Très gentiment lui aussi, il m'amène à destination sur le débarcadère où viennent s'amarrer les annexes des voiliers !

PS pour ceux ou celles qui pensent que je suis une folle inconsciente : j'ai pratiqué l'auto-stop partout (Europe mais aussi Afrique, Amérique du Sud & Antilles) depuis toujours et il ne m'est jamais rien arrivé de facheux. Quelques précautions néanmoins : jamais la nuit, toujours décemment habillée, pas de bijoux, pas d'appareil-photos en bandoulière, sac bien fermé, argent sur moi. Aujourd'hui je suis une dame mûre et je pense que ça craint encore moins ! Pour l'anecdote : la seule fois où je me suis fait voler mon sac, c'était non loin de chez moi à Toulouse !

C'est lundi, les plaisanciers en week-end sont partis, plus un seul bateau habité au mouillage. Passage de gros grains bien noirs avec rafales et pluie toute la matinée. Ce sera la seule période de "mauvais temps" de tout mon séjour ! Nous sommes pourtant dans la transition entre saison des pluies et saison sèche, j'ai eu de la chance !

Après quelques courses, je pars humer l'air du temps au hasard des rues. Les HLM de Marie-Galante, il y a pire !

L'hibiscus, ma fleur de prédilection, jaune !

Les arbres à pain et leurs beaux fruits savoureux quand on sait les cuisiner.

Au retour, on décide de changer de mouillage pour l'anse Canot et gagner ainsi quelques milles pour la dernière étape. Il faut être à Saint-François mardi en fin d'après-midi.

Je loupe le célébrissime coucher de soleil sur les Saintes !

Nuit un peu rouleuse, l'alizé se maintient et la houle contourne l'île.

*** A SUIVRE ***