Temps fort de notre séjour, le passage du canal Chacao qui sépare l'île du continent. Du fait de son étroitesse et de la marée importante, le courant y atteint 8 noeuds... Comme le souligne la Guia de Navegacion del yatista, c'est une expérience bonita de voir défiler la côte à 10 ou 12 noeuds. On quitte Ancud au petit matin, à marée basse, sans vent. Des dizaines de barques jaunes et bleues sont mouillées dans la baie : ce sont les pêcheurs d'almejas (palourdes) qui passent plusieurs heures dans l'eau, reliés à un compresseur par un tuyau long d'une centaine de mètres. Soudain, des bruits de souffle attirent notre attention sur l'arrière : une troupe de phoques nous suit, têtes rondes aux petits yeux curieux. Ce sont les premiers que nous voyons. Nous apprendrons bientôt à distinguer les différentes espèces de phoques, otaries, lions de mer et manchots. Quelle agréable surprise de constater l'extraordinaire richesse de la faune dans cette région pourtant bien peuplée et dont les ressources marines sont fort exploitées !

Phoque familier

Les Andes en filigrane

Une fois franchie cette porte que constitue le canal Chacao, le golfe de Corcovado s'ouvre, avec la cordillère des Andes et ses sommets enneigés à l'arrière-plan. Au nord, différents chenaux mènent à Puerto-Montt, grande ville où la Marina del Sur, très bien abritée derrière l'île Tenglo, offre tous les services habituels aux voiliers de passage. Accueil chaleureux, installations luxueuses avec sanitaires de rêve, vastes, propres et bien chauffés... et tarif ad hoc (25 US$/jour).

Nous fêtons le Nouvel An en compagnie des équipages des grands voiliers qui s'apprêtent à partir vers les canaux de Patagonie, le cap Horn, l'Antarctique. Le skipper français d'un grand Swann accepte de nous passer quelques cartes qui nous manquaient pour les photocopier. Au marché d'Angelmo, haut lieu du tourisme chilien, nous goûtons au plat traditionnel, le curanto : mélange étonnant de coquillages, saucisses, poulet, viande fumée, pommes de terre et algues, parfumé au silentro (coriandre).

Profitant du marnage de 7 mètres, nous échouons Brin d'Etoile gratuitement contre le quai de la marina pour une inspection de la coque encore propre et un bon nettoyage de l'hélice.

Puerto-Montt, Marina del Sur, nous profitons du grand marnage pour échouer gratuitement le long d'un quai Carénage-PuertoMontt

Il fait très beau en ce début janvier, nous tournons à nouveau l'étrave vers le sud, à la découverte de la côte Est de Chiloé. Les mouillages tranquilles se succèdent, tous plus enchanteurs les uns que les autres, dans des décors champêtres peuplés de vaches, moutons, cochons et oies en liberté, comme Puerto Huite, vaste abri naturel fréquenté par une bande de majestueux cygnes à col noir. Dans chaque localité importante, en particulier Castro, la feria (marché) regorge chaque matin de produits de la mer : huîtres, cholgas (moules énormes), coquilles St-Jacques, oursins, mais aussi des algues comestibles et des saumons entiers fumés, à prix raisonnable. Nous faisons des festins arrosés du petit sauvignon blanc chileno pas mal du tout ! Les gens sont aimables, les offices de tourisme fleurissent dans le moindre village, non loin de la traditionnelle église en bois bien entretenue.

Nous nous attardons dans l'estero Pindo, magnifique abri dans l'île de Quehui, où les quelques habitants du village de Los Angeles ne se déplacent qu'à cheval ou en bateau. Tellement qu'un matin, à peine le pied hors de la couchette, je sens le bateau basculer et s'incliner franchement : m... on est plantés, c'est vrai que le coefficient augmente ces jours-ci, plus qu'à lever l'ancre dès que possible pour aller remouiller plus profond ! Une petite maison en bois à vendre (=100.000 FF), blanche au toit noir, semble nous dire : pourquoi ne pas s'installer ici quelque temps ? Il y a un grand terrain autour qui surplombe le mouillage. La vie y est un peu rude, l'électricité fournie par un générateur n'est disponible que 3 heures par jour, nombreux sont ceux qui sortent du bateau-navette de Castro, une batterie probablement rechargée, à la main... On rêve un peu à ce qu'on pourrait entreprendre là, mais la belle saison est très courte et nous ne sommes pas mûrs pour cette aventure-là !

L'appel des Chonos

C'est plutôt le bas de la carte actuelle qui attire le cap'tain... Alors en route pour la Laguna San Rafael, voir "le glacier qui se jette dans la mer au plus près de l'Equateur" (latitude 47°Sud), comme le proclament les pubs des ferries bondés de touristes.

250 milles dans un dédale de canaux encaissés entre des îles désertes, sauvages et boisées, animées de belles cascades. Des colonies de lions de mer se prélassent au soleil sur les rochers isolés et rugissent à notre passage. Les petits manchots, qui semblent faire bon ménage avec les cormorans, se grattent le ventre comiquement, mais, farouches, ils plongent dès qu'on les approche.

La Caleta Cristiana nous offre un spectacle rare. Par un matin calme, seuls comme toujours au mouillage devant une large cascade écumante, émerge soudain l'aileron aiguisé d'une orque, puis deux, trois, encore d'autres ? Non, les 3 orques sont accompagnées de grands dauphins et ils croisent en choeur devant la cascade. Nous les admirons, à la fois fascinés et inquiets quand ils passent à quelques mètres, jetant un petit oeil inquisiteur au bout d'un corps aussi long que le bateau. Il fait beau, nous avons une longue étape en vue, l'avant-dernière avant le glacier. Dès que le moteur démarre, coïncidence ou excitation due aux vibrations sonores, les orques se mettent à bondir avec des grands "splash", jaillissant entièrement hors de l'eau pour sonder ensuite, queue dressée ! On en oublie de faire des photos !

Le temps devient plus incertain fin janvier, souvent pluvieux et froid. Le petit poêle à pétrole vient heureusement réchauffer nos soirées. Enfin, le 1er février, le soleil et un petit vent de sud de bon augure nous donnent le feu vert pour la vingtaine de milles qui séparent le paso Quesahuen, mouillage d'attente, du glacier. Navigation assez délicate avec beaucoup de courant et des zigs-zags pour éviter écueils et îlots bien signalés sur la carte de détail chilienne, qui surprend par sa très grande échelle. Par chance, ni le Patagonia Express, ni les Skorpios ne sont là aujourd'hui pour troubler notre joie.

Glacier San Rafael

Brin d'Etoile pénètre seul dans la Laguna San Rafael, au débouché du rio Tempanos encombré de gros glaçons. C'est le choc : une imposante mer de glace descend des montagnes aux pics acérés jusqu'à l'eau verte. Heureux comme des gosses, nous slalomons entre les icebergs aux formes étranges, là une baleine comme endormie, plus loin des chevaux qui semblent s'affronter. Poussés par le vent qui forcit, les gros blocs de glace bleutée semblent tous converger vers l'unique sortie de ce grand cirque. Nous ne nous attardons pas, et nous faufilons dans la même direction, impressionés par ceux qui basculent parfois dans de grandes gerbes d'eau. Pas très rassurant pour passer la nuit.

Ayant réalisé notre rêve de petite navigation dans les glaces, nous avons hâte de retrouver une température plus clémente. La remontée se fait presque entièrement au moteur, parfois sous la pluie et même la grêle, les sommets tout proches sont saupoudrés de neige fraîche. Canaux Patagonie Navigation monotone ponctuée de mouillages tranquilles, toujours profonds, de 15 à 25 mètres. A Puerto-Aguirre, une des deux bourgades de l'archipel, le préposé au carburant nous annonce gentiment qu'il nous a gardé un peu de gasoil, depuis notre passage à l'aller ! Au sud de l'île Filomena, un estero insondé nous attire : nous y accédons sur la pointe de la quille. Des centaines d'oiseaux de toutes sortes, peu farouches, nous tiennent compagnie toute la soirée, ainsi que de drôles de canards qui s'enfuient en pédalant à toute vitesse des pattes et des ailes dans de grandes éclaboussures.

Enfin, à Melinka, jolie village aux maisons colorées, sur lequel veille la statue d'une sirène aux formes rebondies, nous croisons l'actuel Président chilien en vacances avec sa famille sur un bâtiment de la Armada : il est là aussi pour inaugurer la fête annuelle.

Estero Castro A la voile dans l'estero Castro

Retour au Nord, vers la chaleur !

Nous quittons les Chonos et ses paysages grandioses pour Chiloé à nouveau, plus humaine : le soleil y est davantage présent et plus chaud.

Nous nous attardons à Quellon pour faire réparer le micro de la VHF, refaire un plein de gasoil et de vivres frais au quai des pêcheurs très encombré mais accueillant, où un gamin vient nous demander : "il faut combien d'heures pour venir de France ?"

Enfin, c'est à la voile que Brin d'Etoile peut à nouveau musarder dans les esteros et autour des petites îles chilotes, jouant avec les courants de marée, navigation très comparable à celle pratiquée en Bretagne Nord. L'île de Mechuque, en particulier, nous séduit. La marée sculpte son paysage au fil des heures : maisons de bois haut perchées sur leurs pilotis à marée basse, plan d'eau immense à marée haute qui se rétrécit comme peau de chagrin au fur et à mesure que l'eau se retire, pour ne plus laisser qu'une petite fosse, Brin d'Etoile au beau milieu !

Nous croisons 2 ou 3 voiliers chiliens en vacances, pressés de faire un maximum de mouillages différents pendant leur croisière annuelle. Ephémères échanges le temps de boire un verre de Pisco (eau de vie de raisin, boisson nationale, souvent consommée "sour" avec citron et eau gazeuse) dans le cockpit... Le lendemain matin, plus personne !

Le mois de mars, exceptionnellement clément cette année, touche à sa fin : il faut remettre le cap au Nord, avant la mauvaise saison. Alors nous entreprenons la remontée de la côte, la longue côte qui s'étend sur plus de 1.500 milles, encore 6 mois de navigation avant le retour à la Martinique.

A suivre...