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Après un dernier ravitaillement à Saint-Martin, le grand départ en juin 1996

Quelques mois plus tard, nous voici, mi-novembre 1996, à Salinas, près de Guayaquil (Equateur) au pied du mur : 3.500 milles sans escale jusqu'à Chiloé, grande île à l'entrée des canaux de Patagonie. L'étude des Pilot Charts américaines et l'envie d'une longue navigation nous ont décidés pour une route directe, sans les haltes classiques aux Galapagos ni à l'île de Pâques. Nous savons que ce sera tout au près, jusqu'à l'approche du 40eSud, mais nous espérons un vent et une mer maniables pour Brin d'Etoile, qui marche bien par petit temps. La saison, le printemps austral, doit nous épargner le mauvais temps et nous permettre de passer tout l'été autour de l'île de Chiloé et de l'archipel des Chonos. "Noël à Chiloé", c'est notre credo !

Départ sous le ciel gris habituel de la côte équatorienne, avec un petit vent de sud-ouest. Après un bord de dégagement, nous tirons plein sud pour traverser le golfe de Guayaquil. Le lendemain matin, nous sommes en vue de la côte nord du Pérou, collines arides sous le soleil bienvenu. De nombreux derricks au large du cap Blanco nous convainquent qu'il vaut mieux virer en début de nuit.

Nous resterons sur ce nouveau bord, bâbord amures, jusqu'au 38°sud, soit pendant 22 jours, avec un vent force 2 à 4, sud, sud-est, puis est-sud-est au fur et à mesure que l'on descend et une mer belle parfois peu agitée... Petite parenthèse dans cette navigation de rêve : autour de 17°S - 91°W, grains assez forts entrecoupés de calmes qui nous obligent à maintes manoeuvres de voiles pendant 48 heures. Puis c'est à nouveau le grand beau temps d'alizé avec les jours qui allongent et de fabuleux couchers de soleil.

Cave/LN La vie à bord s'écoule paisible et régulière. Nous faisons des quarts de 3 heures, jour et nuit. La matinée est notre seul moment sociable, ensemble et réveillés. C'est l'heure du point sur 24 heures, des nouvelles sur RFI, dans de bonnes odeurs de cuisine et de pain frais, un oeil sur la ligne à la traîne... Je note plusieurs fois dans mon agenda : "journée exceptionnelle" ; je consigne aussi les menus souvent améliorés pour une occasion à fêter : tous les prétextes sont bons pour ouvrir une des bonnes bouteilles offertes par nos amis de Martinique ! Cette allure du près bon plein est super confortable.

Le baromètre monte à l'approche du tropique du Capricorne, tandis que la fameuse grande houle de sud-ouest commence à soulever la mer. Il s'agit maintenant de franchir le puissant anticyclone centré sur l'île de Pâques : le moteur alterne avec les voiles légères les jours suivants. Brin d'Etoile a mangé son pain blanc, nous guettons les signes du ciel dans l'attente du vent d'ouest qui nous pousserait rapidement vers la côte chilienne.

La température baisse, la couette d'hiver remplace le duvet léger dans la couchette. Le 11 décembre, alors que nous venons de fêter les 2.500 milles parcourus, c'est le calme blanc... par 38°S ! Le premier albatros vient tourner autour de nous. Le moteur ronronne toute la nuit. Une grande forme phosphorescente aussi longue que le bateau nous contourne par l'arrière, réveillant une vieille peur : si on coule, personne n'en saura rien par ici, nous n'avons pas aperçu un seul bateau depuis le Pérou... Un petit croissant de lune tire sa chaloupe, augure de beau temps comme le rapporte Joe Klipfel dans son passionnant Prévoir le temps par les dictons marins. Au matin, on coupe le moteur : il ne nous reste plus que 13 litres de gasoil ! On affale tout et on essaie de s'occuper. Atmosphère électrique à bord. Calme 38°S

Les 40e vont-ils rugir ?

La nuit suivante, ciel toujours limpide, les étoiles se reflètent dans l'eau immobile, il n'y a plus d'horizon, c'est comme si on dérivait dans l'espace... angoissant tellement c'est beau.

Enfin, le jour se lève et avec lui un petit souffle de sud-ouest qui libère notre tension. Pas vraiment envie de flâner dans des parages aussi mal famés... d'autant que le cap'tain s'est mis à relire Moitessier : dans Cap Horn à la voile, il raconte superbement le mauvais temps que sa femme et lui ont essuyé à la même période... il y a trente et un ans !

Nous livrant nous aussi au jeu des petits carreaux des Pilot charts, nous bataillons toute la semaine suivante pour éviter un 10% de probabilité de coups de vent : multiples changements de voiles, manoeuvres de tangon difficiles dans la houle et nombreuses heures à la barre, dans des vents très variables en force et en direction, et la houle de sud-ouest qui enfle encore.

Le 20 décembre, après quelques heures de fort vent portant nous faisant miroiter une arrivée très prochaine, c'est à nouveau la pétole, à moins de 100 milles du but ! Le baromètre est en baisse, le ciel ne prédit rien de bon : cirrus dans le sud, halo autour du soleil. Le cap'tain démonte les manches à air, remplacés par des bouchons vissés. C'est l'attente. Plus de vent du tout, on remet le moteur deux heures pour ne plus subir les mouvements brusques dûs à la houle qui fatiguent le gréement... et nos nerfs ! Les oiseaux se posent tout autour de nous. Doux spectacle dans le jour qui décline lentement, mais nous savons qu'il faut voir là un mauvais présage.

Scénario classique de l'arrivée d'une dépression sous ces latitudes australes : le vent s'établit au nord-ouest avec chute brutale du baromètre.

Les douze heures suivantes restent dans mon souvenir comme un film passé en accéléré. Le vent monte très vite, provoquant un enchaînement incroyable de pépins. L'artimon empanne brutalement, fauchant net l'aérien de l'éolienne. En l'affalant, trois coulisseaux se cassent. Je barre tandis que le cap'tain réduit la grand'voile : impossible d'étarquer, winch bloqué ! On l'empanne en contrôlant bien avec la double écoute : les coulisseaux explosent en série, rendant la voile inutilisable. Le cap'tain va doubler les points d'amure et d'écoute de la trinquette qui, seule, nous tire à présent vers l'abri, à 7 noeuds, aidée par le courant de flot. Je reste à la barre tandis qu'il contrôle la navigation.

Avec le jour naissant, on aperçoit l'île de Chiloé droit devant, mais en approchant les grains se font de plus en plus violents et on n'y voit plus rien du tout. Le baromètre continue sa descente. La mer devient très confuse, mais Brin d'Etoile passe super bien et me donne confiance. Le cap'tain va et vient de la table à cartes à la descente pour m'annoncer les changements de cap et négocier au mieux les hauts fonds. Des albatros, des dauphins, des globicéphales et même deux baleines nous font escorte tour à tour. Albatros1

Quelle arrivée !

Pas question d'accéder au port d'Ancud, dont l'entrée est ouverte au secteur ouest ; on choisit d'aller mouiller en face, sous le vent d'une presqu'île. J'appelle sur le 16 en VHF, comme nous sommes tenus de le faire d'après les instructions de l'ambassade du Chili à Paris, pour signaler notre arrivée et on nous répond que le port est fermé... et que les autorités viendront nous rendre visite dès que possible au mouillage.

Mais le moteur, pourtant fidèle jusque là, ne veut rien savoir... Les ennuis continuent. Moment de découragement, vite passé car le temps presse et puis, "on sait faire, non ?" Le cap'tain ragaillardi va prendre deux ris dans la trinquette pour ralentir et nous laisser le temps de remplacer les coulisseaux cassés de l'artimon, voile indispensable pour atteindre l'abri au près, faute de grand'voile.

A 10 heures, le 21 décembre, on jette enfin l'ancre suivie des 60 m de chaîne après 34 jours de mer !

Dans l'après-midi, une grosse vedette vient à couple nous contrôler. Le vent est encore très fort, ça remue beaucoup, nous sommes inquiets pour notre bordé, un gros pare-battage explose ! Les officiels très aimables nous proposent d'envoyer un fax à notre famille pour signaler notre arrivée. Sympa l'accueil chilien, qui se confirmera tout au long de notre séjour.

Le mauvais temps perdure, nous restons au même mouillage jusqu'au 25 décembre, passant la veille de Noël à faire x vidanges en chauffant l'huile sur le gaz, pour tenter d'éliminer la "mayonnaise" qui s'est formée, toute notre réserve d'huile y passe. Je ne me souviens pas d'avoir jamais fêté mon anniversaire d'une façon aussi originale... Mais je suis tellement heureuse d'être là que rien d'autre n'a d'importance. Premier mouillage chilien Enfin le temps s'améliore, le moteur a bien voulu démarrer, nous changeons de mouillage pour nous rapprocher du port d'Ancud, réservé aux pêcheurs en fait, mais il nous sera possible d'accoster pour faire un plein d'eau et de gasoil. J'arrive à convaincre le cap'tain de passer une nuit dans un "Bed & breakfast" : je rêve d'une douche bien chaude !

A suivre...

Ancud et son port de pêche ouvert à l'ouest Ancud-port Ancud-barques